samedi 25 juillet 2009

Prière silencieuse dans le De Abstinentia et silence unitif (2)

3. Le silence dans le néoplatonisme

Avec une focalisation de plus en plus accentuée sur la question de la transcendance, la notion de silence va prendre progressivement de l'importance, tant pour désigner une impossibilité à dire un au-delà toujours en retrait ou toujours en excès que pour montrer une expérience particulière ou un état de la divinité, si bien que le Silence va même être hypostasié en une entité chez les Valentiniens.
a) Plotin
Un détour par les différentes fonctions du silence chez Plotin peut être utile pour comprendre le sens et la nature de l'hymne silencieux chez Porphyre.
Le silence le plus fameux demeure dans l'expérience plotinienne celui qui nous saisit face au principe ; la pensée du principe conduit à une situation aporétique dont il faut se retirer par le silence : "Il faut nous éloigner en silence (siôpèsantas) et cesser toute recherche, puisque nos réflexions nous plongent dans l'embarras." (VI, 8 [39], 11, 2-3 , trad. L. Lavaud). Le silence apparaît dans son ambivalence, renoncement nécessaire, mais encore mode d'être originel de l'âme unie au principe ; dans l'expérience unitive, en effet, dans l'abolition de la dualité, la reconnaissance du principe ne tolère pas un discours d'identification, seul le silence est signe de cette reconnaissance; comme le dit Plotin, c'est le silence qui parle ici, et encore parle-t-il après coup : "Ce que l'âme dit:"C'est lui", elle le dit plus tard, et elle le dit en silence (siôpôsa)" (VI, 7 [38], 34, 28-30 (trad. F. Fronterotta)). Cette parole silence n'est qu'une image, ce silence ne dit rien, mais il est signe. Ce n'est que dans un second temps, après l'union, que le discours pourra désigner ce dont il est séparé. C'est l'altérité qui rend possible le discours, ce qui en fait à la fois la force mais aussi la limite ; sans altérité, il ne reste plus que l'unité silencieuse (V, 1 [10], 4, 37-40).
Il faut néanmoins reconnaître que le silence est, chez Plotin, plurivoque, en deçà du silence unitif, se trouve le silence de l'intellectt, c'est-à-dire le repos (V, 3 [49], 7) ou l'absence de discursivité : "Mais, à mon avis, on ne doit certainement pas supposer que les âmes font usage de paroles lorsqu'elles se trouvent dans l'intelligible, et pendant tout le temps qu'elles ont un corps dans le ciel. Toutes les discussions que suscitent ici-bas le besoin et la dispute n'ont pas lieu d'être là-bas. Parce qu'elles font chaque chose d'une manière ordonée et conformément à la nature, les âmes n'ont pas non plus besoin de donner d'ordres ni de conseils ; en outre, c'est par compréhension qu'elles arrivent à connaître ce qui les concerne les unes et les autres. Car ici-bas également nous pouvons, même si des gens restent silencieux, comprendre beaucoup de choses par le regard. Or, là-bas, tout corps est pur et chacu est comme un oeil; rien n'est caché, rien n'est dissimulé, mais en posant son regard sur l'in, on sait ce qu'il veut dire avant qu'il n'ait parlé. En revanche, pour les démons et pour les âmes qui se trouvent dans l'air, il n'est pas absurde dire dire qu'ils font usage de la parole, car ce sont des vivants." (IV, 3 [27], 18, 13-24 (trad. L. Brisson). Comme le souligne A. Charles-Saget, dans L'architecture du divn, Paris : Les Belles Lettres, p.100-103, le silence est le centre de la parole vers lequel elle tente de converger. Le silence, dans l'absence de discursivité, n'implique par pour autant l'absence de dualité entre le pensant et le pensé (V, 3 [49], 10, 44-46). Enfin, il reste le silence de la contemplation, tant de la nature que de l'âme (III, 8 [30], 4-7).
Bibliographie sur le silence chez Plotin :
- P. M. Schuhl, « Au-delà du mythe : le silence dans la philosophie de Plotin » in Étude sur la fabulation platonicienne, Paris : PUF, 1947, p. 117-120
- V. Cilento, « Estasi e silenzio » in Saggi su Plotino, Milano : Mursia, 1973, p. 263-298
- J.-L. Chrétien, « L’hospitalité du silence » in L’arche de la parole, Paris : PUF, 1998, en particulier p. 72-73 et p. 86-87
- F. Tazzolio, Du lien de l’Un et de l’être chez Plotin, Paris : L’Harmattan, 2002, p. 246-253
(A suivre)

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